Devenir parent, de la théorie à la pratique… ça fait mal.

Beaucoup de personnes se retrouvent confrontées à leur propre enfance en devenant parents. Des souvenirs remontent. Des émotions aussi. Il s’ensuit parfois un dur travail de remise en question sur soi, ses modèles parentaux, la façon dont nous avons été éduqué, nos propres comportements avec nos enfants et ce que nous avons vraiment envie de leur transmettre.

Pour d’autres, ce travail a été initié auparavant. Il s’agit de personnes plus ou moins en opposition sur les façons de faire et d’être de nos parents, plus ou moins conscientes des traumatismes ou des violences subies et des impacts que tout cela a eu sur leur propre développement. Elles sont déterminées à faire autrement et vont même jusqu’à se renseigner sur toutes ces méthodes “bienveillantes” avant même la naissance de leur enfant.

Pour ma part, je fais partie de la seconde catégorie. Découvrant assez tôt les pédagogies alternatives telles que Montessori ou Freinet (merci Arte et la Cinquième), j’ai dévoré Filliozat durant mon adolescence, mettant en pratique mes connaissances sur les enfants placés dans ma famille. Persuadée que la source de mon mal-être venait essentiellement des mauvaises pratiques de mes parents, j’étais bien décidée à faire mieux et même plus que ça.

Une décennie plus tard, lors de ma première grossesse, cette passion presque oubliée a fait son grand retour et je me suis appliquée à compléter mes lectures avec du Catherine Guéguen, du Céline Alvarez, du Thomas Gordon et j’en passe. C’est également à ce moment-là qu’a germé en moi l’idée de me réorienter vers ce domaine.

J’étais concentrée sur l’accouchement, persuadée que c’était l’étape ultime. Pour le reste ? Je savais changer des couches depuis l’âge de 8 ans et je connaissais pléthore de théories sur ce dont mon enfant avait besoin pour se développer affectivement, émotionnellement et intellectuellement afin de devenir un adulte épanoui, bien dans sa peau et confiant. Qu’est-ce qui aurait pu mal se passer ?
“Spoiler alert” : j’ai douillé.

Pendant longtemps j’ai accusé le traumatisme qu’a été pour moi mon accouchement, les douleurs et la fatigue qui ont persisté des mois durant. Alors oui, ça n’a pas aidé. Mais ce qui est fait est fait et si j’en tire des leçons, ce n’est pas cela qui m’a permis de reprendre pied.
Chercher à faire mieux que ses parents ou les autres, bosser toute la théorie, s’efforcer à devenir la maman parfaite, c’est s’engager sur un terrain qui peut rapidement devenir glissant.

Première erreur : se construire une image du parent parfait à atteindre. Comme ça n’existe pas, ça finit généralement dans un cul de sac. Et puis le gouffre entre l’idéal et la réalité n’en est que plus grand, et donc “la chute” plus rude.
Ensuite, la pression que nous nous mettons est gigantesque et cela nous dessert en ajoutant une couche sur les inquiétudes qui se développent naturellement en devenant parent et qui peuvent alors dégénérer en anxiété et angoisses. Et ça, c’est l’une des portes d’entrée de la dépression et du burnout parental.

La culpabilité est bien sûr présente à la fête elle aussi. L’omerta sociétal y est pour beaucoup. On ne nous prévient pas à quel point les jours après l’accouchement peuvent être durs. A quel point les premiers mois avec bébé peuvent être affreux. Ben oui, c’est bien connu que les nouveaux parents sont “comblés” et que les enfants “c’est que du bonheur”.
Lorsque nous avons l’impression de ne pas y arriver, nous ne comprenons pas pourquoi avec nous “ça ne marche pas”. Nous sommes épuisés, parfois même nous en arrivons à regretter d’avoir eu un enfant et la liberté que nous avions auparavant. Comme nous avons honte de ces pensées ambivalentes et de cette sensation d’échec, nous n’en parlons pas. Tout cela est empiré par les médias qui nous bombardent d’images de parents heureux. Et les influenceurs sur les réseaux sociaux rajoutent une couche.

Enfin, comble de l’ironie, la bienveillance dont nous voulons entourer l’enfant se met en place au détriment des parents. Des pratiques initialement proposées comme alternatives pour plus de liberté et plus d’expériences positives avec bébé sont érigées en impératif unique et exclusif, quitte à ce que ce soit vécu comme un supplice.
Les formules théoriques sont simplifiées pour être mieux retenues. Sauf que pris au pied de la lettre, nous finissons par avoir des comportements excessifs et contre-productifs.

illustration de Claire Soldaïni pour l'article "Devenir parent, de la théorie à la pratique... ça fait mal", représentant une maman fatiguée et dépitée au téléphone avec sa mère, son enfant hurlant dans les bras. A ses côtés, une pile de livres de conseils en parentalité bienveillante. Au téléphone, sa mère lui dit "oh tu sais, toi on te laissait pleurer dans le grenier, ça ne t'a pas traumatisée pour autant hein..."
Illustration par Claire Soldaïni

Un exemple choisi dans mon expérience : à ne pas vouloir laisser bébé pleurer, je me suis déjà jetée hors de la douche, savonneuse et ruisselante et je me suis retrouvée grelottante avec le bébé dans les bras, sans pouvoir être en mesure de m’occuper de lui correctement et sereinement. Et je ne suis pas la seule à avoir été dans ces extrêmes. J’ai même déjà entendu l’histoire d’une personne ayant fini à l’hôpital pour une constipation sévère… bébé pleurant systématiquement quand elle allait aux toilettes. Mais voyons, dirons les “bons conseilleurs”, c’est normal puisque si le bébé pleure, c’est qu’il est en stress ! S’il stresse, il produit du cortisol ! Et le cortisol, ça mange les neurones des bébés !
C’est vrai… Le cortisol détruit les neurones des bébés (et pas que d’ailleurs) et cette hormone est produite lorsque le bébé connaît un stress intense, ou sur la durée et sans moment de “réparation”. C’est-à-dire lorsqu’on le laisse pleurer longtemps tout seul. Par contre, s’il pleure en étant dans vos bras ou accompagné : pas de bouffeur de cerveau. Et si vous êtes sous la douche quand il commence, vous avez le temps de vous rincer, de vous essuyer et de vous enfiler un jean et un pull car ce n’est pas cinq minutes de pleurs qui vont détraquer votre bébé. Il y a une chose à garder en tête : c’est un concept qui a été proposé à une époque où “laisser pleurer le bébé” c’était des heures durant !

D’ailleurs, dans le texte original de William Sears, pédiatre américain qui a commencé à parler du “maternage proximal” dans les années 2000, il indique qu’il ne faut pas laisser pleurer bébé inutilement. INUTILEMENT ! Ce mot a sauté avec la popularisation du concept, pourtant il apporte une précision qui a son importance. Ça veut dire que si à un moment donné nous ne sommes pas en mesure de répondre immédiatement à ses pleurs car nous sommes aux toilettes, sous la douche, en train d’émerger difficilement de notre lit, ou que nous n’en pouvons tellement plus qu’il vaut mieux que nous nous éloignons plutôt que de faire une bêtise, ce n’est pas le laisser pleurer inutilement. Ça veut aussi dire que si nous sommes en mesure de répondre à ses pleurs, quitte à essayer tous les besoins fondamentaux jusqu’à trouver le bon, nous sommes dans le soin et non pas en train de le laisser pleurer inutilement ! Si une fois que nous avons testé le grand chelem des besoins que nous pouvons contrôler : relation, change, faim, élimination, repos, soins qui soulagent les bobos courants, et qu’il continue à pleurer, c’est que nous n’y pouvons pas grand-chose et que ce n’est pas la peine de culpabiliser. Nous sommes là pour l’accompagner, vérifier s’il a mal quelque part, et surtout nous devons prendre notre mal en patience. Car oui, deuxième info utile : un bébé pleure. Il pleure pour s’exprimer, que ce soit sur ses besoins ou ses émotions. Donc non, nous ne pouvons pas empêcher son bébé de pleurer H24, 7 jours sur 7. Donc si je résume, il serait plus juste de dire “il ne faut pas laisser le bébé pleurer inutilement et tout seul dans la mesure du possible”. Car il y a des fois où un bébé va pleurer pendant des heures et nous n’allons pas toujours savoir pourquoi. Et peut-être même qu’il va le faire régulièrement. Il faut juste garder en tête qu’à partir du moment où il n’y a rien de pathologique et que nous sommes présents, c’est juste un mauvais moment à passer. Parfois nous finirons par avoir une explication, comme lorsque ces heures de pleurs finissent sur un gros caca explosif et débordant. Parfois nous resterons dans l’ignorance. Un exemple parmi d’autres : environ 2 ou 3 jours après la naissance, la plupart des bébés vont se mettre à pleurer pendant quasiment 24h et sembler affamés. C’est pour appeler la montée de lait. Ils sont programmés pour faire cela et ainsi être mis plus souvent au sein afin d’informer ces derniers qu’il faut envoyer le lait. Ce n’est pas un témoignage de l’incompétence de la nouvelle maman. C’est un comportement normal, difficile à vivre, mais qui ne dure pas. Moi j’ai appris ça, mon “bébé” avait déjà plus de deux ans. Lorsque nous savons nous pouvons prévoir le truc. Par exemple avoir son gâteau préféré à proximité, ou toute chose qui peut nous apporter du réconfort le temps que la crise passe.
Parce que, tout comme l’ensemble de cette période, ça passe ! Cela peut-être dur, affreux, mais ça va évoluer. Bon tout ne deviendra pas rose, mais disons que les problématiques changent et mine de rien cela apporte de la nouveauté !

Enfin, et j’aimerais finir sur ça : j’aime toujours autant les “théories” et, contrairement à ce que pourrait laisser entendre cet article, je n’y suis nullement opposée. Toutefois, je vous propose, pour commencer, de vous faire confiance. En tant que parent, vous êtes la personne la mieux placée pour connaître votre enfant, ses besoins, mais aussi les vôtres. Les théories c’est bien, car elles proposent des outils, des solutions, des directions à essayer, à adapter et éventuellement à adopter, au moins quelques temps.
C’est en testant ces différentes pratiques que vous saurez si cela vous convient à vous, à votre enfant et au bien-être de votre famille.

Favoriser le bien-être parental et, à travers lui, celui des enfants

Ces sujets vous intéressent ?

Les points évoqués dans cet article seront approfondis lors des rencontres proposées cet été. Conférences, ateliers et discussions avec comme point commun la conviction que si le parent se sent bien, il en va de même pour l’enfant.
Pour voir les prochaines dates et s’inscrire, c’est par ici : rencontres pour favoriser le bien-être parental

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